dimanche 19 octobre 2008

C'est à l'aube (1)


J'allais avoir trente ans lorsque je me suis mise à vivre. Je me souviens avoir ressenti cette urgence de m'échapper d'une parenthèse qui durait depuis la sortie de mon adolescence. Une fois passés les tourments de la transformation de mon corps et de la révolte contre ce monde qui n'était pas fait pour moi, les premières amours difficiles et les revendications inutiles pour changer la planète, une forme de résignation m'avait rattrapée sans que je le décide. L'entrée dans l'âge adulte, que j'avais toujours plus ou moins consciemment méprisé, se fit finalement sans heurts: il y avait tellement de combats à mener pour être libres, combats cependant très lointains de mes idéaux d'enfant. Il fallait commencer par se faire une place et cela passait fatalement par les études, puis la recherche d'un emploi. Cela m'a pris dix ans. Dix années de somnolence. Dix années, je m'en aperçois aujourd'hui, où je pensais avoir le temps.

"Quand je serai grande, j'écrirai un roman..."

Quand je serai grande...

J'étais toujours cette enfant qui croyait le plus beau pour plus tard, pour un après qui durerait infiniment.



La première moitié de cette décennie fut employée à finir mes études, brillamment, puis à entrer dans la fonction publique, mon poste de cadre occupant les trois quarts de mon temps. Le ministère avait besoin de moi!

A vingt-cinq ans, j'avais rencontré Sébastien qui m'avait déclaré sa flamme instantanément, j'étais la femme de sa vie, il le savait, il le sentait, ce que j'avais ressenti était à des années lumières du feu de mes passions adolescentes mais son enthousiasme m'avait séduite. Pendant longtemps j'ai cru qu'il me rendait heureuse.


Et puis, un soir de septembre, j'ai vu l'impensable. Ma télé vacillait, prise de court par ce qu'elle pensait ne jamais montrer. La nausée est montée d'un seul coup devant les images de deux tours en feu. C'était l'humanité qui était remise en cause, c'était mes certitudes qui s'effondraient, en même temps que ces inconnus prisonniers du brasier. Ce jour-là a changé la vie de millions de quidams. La mienne a été bouleversée.

Le lendemain, je n'étais plus la même.

Le 11 septembre 2001, ou comment l'Histoire change l'histoire d'une petite provinciale endormie.


Qu'étais-je en train de faire de ma vie? Les habitudes me sautaient au visage, m'étouffant, m'oppressant. Mon travail devenait ennuyeux, Sébastien ne me voyait plus (m'avait-il, au fond, vraiment regardée?), et de jour en jour mes belles certitudes s'évanouissaient pour ne laisser place qu'à une seule: j'avais tellement envie de vivre, que vivre si peu, ou si mal, me donnait envie de mourir...


Depuis ce jour, l'urgence ne m'a plus jamais quittée.

Et l'histoire de ma vie commence ici.



4 commentaires:

ichandrae a dit…

C'est trés beau Lola. merci.


Je sauve les longues dissertations pour la poste précédente. ha ha.
a bientôt à la poste qui précède.
bonne journée.

Dorham a dit…

Et bien...
Le 11 septembre, c'est un syndrome pour beaucoup de monde...
Un grand événement est un effet papillon inverse, parfois, il change radicalement une vie à l'autre bout de la planète. Simultanément, le sort du monde se joue...

Anonyme a dit…

Je me suis réveillée un jour où le futur était hier.
La parenthèse s'était fermée. Tous les petits êtres ont dépeuplé mes rêves éveillés. Ne restait plus que la réalité de ma vie, sa vacuité.
J'ai exploré ce gouffre, je n'y ai rien trouvé.
J'ai sondé le passé, il était délavé.
Que faire avec ce temps qui ne fait que glisser?

lolabebop a dit…

@Ichandrae: simplement merci.

@Dorham: Le 11 septembre a été déclencheur de multiples prises de conscience.
Il fallait ici un "déclencheur" pour mon personnage, l'événement m'est apparu comme une évidence, je n'ai trouvé plus fort.

@Anonyme: Avez-vous un secret pour pénétrer ainsi mes pensées? Ou bien sont-ce 2 consciences qui trouvent leur similarité à travers les mots?